Introduction
Selon le rapport du GIEC, pour limiter à 1,5°C le réchauffement du climat, il faudrait atteindre la neutralité carbone en 2050. L’Agglomération de La Rochelle a fait le choix, quant à elle, de se fixer, dans son plan « La Rochelle Zéro Carbone », une première étape visant la réduction de 30% ses émissions carbone d’ici à 2030 par rapport à ses émissions de 2019.
En matière de politique locale de l’habitat, comme chaque territoire, l’Agglomération de La Rochelle peut s’interroger sur (i) la mobilisation du parc bâti existant afin de limiter le besoin en constructions neuves, (ii) le type de logements à produire, et les procédés constructifs qui seront mobilisés pour limiter l’empreinte carbone des constructions neuves, (iii) mais aussi la localisation de ces nouvelles constructions : faut-il recentrer le développement de l’habitat dans le cœur de l’agglomération, ou gagnerait-on, plutôt, à déconcentrer les emplois et l’offre en logements ?
Une vaste littérature scientifique questionne les liens entre les formes, les taux et les densités d’urbanisation et les émissions de gaz à effet de serre des territoires.
Certaines études constatent ainsi que les grandes villes présentent des émissions par habitants plus élevées que les territoires ruraux, qu’elles expliquent par une allocation inefficiente des ressources (Oliveira et al., 2014). D’autres études constatent, au contraire, une corrélation négative entre émissions directes par habitant et densité : plus la densité est élevée, moins les habitants d’un territoire donné semblent émettre de CO2 pour leurs mobilités quotidiennes (Luqman et al., 2023), en raison de la réduction des coûts de transport et des gains d’énergie associés.
Du point de vue méthodologique, certaines études se fondent sur une approche territoriale des émissions (quelles sont les émissions produites dans les limites d’un territoire donné ?), tandis que d’autres travaux partent de la consommation de ses habitants (quelles sont les émissions produites à l‘intérieur mais aussi en dehors du territoire habité ?). Enfin, certaines études comparent des échantillons de territoire à l’échelle planétaire, quand d’autres se concentrent sur le cas des villes des pays développés.
En France, une étude publiée dans la revue de l’OFCE (Pottier et al., 2021), basée sur l’enquête budget des ménages de l’INSEE, analyse les émissions des ménages français, discriminés par décile de revenus, puis par type de lieu de vie (rural, banlieue, centre-ville). Si le premier facteur explicatif des différences d’émission est bien le revenu, il semble qu’à niveau de vie constant, et pour tous les motifs d’émission, directs et indirects, les ménages tendent à émettre moins dans les centralités qu’à l’extérieur des villes (Pottier et al., 2021).
Les études publiées semblent s’accorder sur plusieurs points :
les émissions sont corrélées au pouvoir d’achat des ménages ; la répartition spatiale des ménages aisés et modestes a donc un impact direct sur la structure des émissions, indépendamment de la structure urbaine du territoire concerné : dans certains territoires, la forte concentration des ménages aisés dans les parties les plus densément urbanisées expliquent ainsi pourquoi celles-ci sont les plus émettrices, ou pourquoi, dans d’autres territoires, les économies en énergie, transport et donc les moindres émissions des zones denses sont partiellement contrebalancées par une consommation supérieure de biens et services (Meirelles et al., 2021).
les stratégies urbaines paraissent avoir des effets différenciés selon (i) le stade de développement des villes (anciennes et établies, ou en plein essor), (ii) leur configuration actuelle, plus ou moins diffuse ou compacte, (iii) mais aussi leur taille (Babiker et al., 2022).
Ainsi, si l’impact des politiques locales peut être conséquent sur les émissions des habitants d’un territoire, les conséquences d’une stratégie donnée peuvent grandement varier selon le type de territoire considéré (niveau de revenu, croissance démographique, organisation spatiale…) (Liotta et al., 2022).
Pour répondre à la question de savoir si un territoire donné doit, pour réduire ses émissions liées aux mobilités du quotidien, plutôt se densifier et concentrer sa population et ses activités, ou au contraire mieux répartir géographiquement ses installations, activités et logements, l’ensemble des travaux analysés plaident donc, à ce stade de leur développement, pour une approche circonstanciée et adaptée au contexte local. En première hypothèse, la densification des tissus urbanisés pourrait être un levier important pour des villes établies, à l’urbanisme dispersé et centré sur la voiture (comme les villes américaines), mais peut-être à l’impact plus mesuré dans le cas des villes en grande partie établies et plus compactes, comme le cœur des agglomérations européennes (Babiker et al., 2022).
L’étude que nous avons menée sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis s’inscrit dans une logique de prolongement et d’approfondissement du corpus de recherche décrit précédemment : elle propose une modélisation des mobilités quotidiennes des habitants du territoire et de leurs émissions à une échelle très fine (au carreau de 200 m x 200 m).
La modélisation vise à quantifier, selon les lieux de vie, les émissions de gaz à effet de serre des habitants liées à leur mobilités quotidiennes afin de pouvoir comparer les installations de nouveaux ménages « à niveau de vie constant » dans différentes parties du territoire, et ainsi aider les acteurs locaux à repenser leur stratégie de développement.
Cet article est construit en 3 parties. Dans un premier temps, nous décrivons de façon synthétique la construction du modèle qui nous a permis de quantifier et de spatialiser les émissions directes liées aux mobilités quotidiennes des habitants du SCoT La Rochelle Aunis. Dans un deuxième temps, nous identifions les principaux traits caractéristiques des mobilités et des émissions des ménages sur ce territoire tels qu’ils résultent de la modélisation. Dans un troisième temps, nous procédons à une première analyse des liens entre densités et émissions sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis. En notes sont exposées les données utilisées et les hypothèses de calcul.
1 Une méthodologie au carreau 200 m x 200 m pour modéliser les comportements de mobilité quotidienne des 231 000 habitants du SCoT
La méthode dite du « Bilan Carbone territorial », développée par l’ADEME, et utilisée pour élaborer le plan « La Rochelle Zéro Carbone » permet à une collectivité locale de déterminer le volume de CO2 émis sur son territoire sur une période donnée. Au sein d’un périmètre défini, l’ensemble des postes d’émission sont listés et quantifiés à l’aide de moyennes ou de données locales lorsqu’elles existent. Les émissions territoriales de la France sont calculées selon cette méthode. En divisant la somme globale des émissions par le nombre d’habitant d’un territoire, on obtient les « émissions territoriales par habitant ».
Si le bilan carbone territorial présente un intérêt certain du point de vue des décideurs pour construire un tableau de bord des émissions, il pâtit de limites méthodologiques lorsqu’on cherche à en faire un outil d’aide à la décision en aménagement du territoire (Wiedmann & Minx, 2008), des limites que le présent travail de modélisation cherche à dépasser en partie :
- La méthode du Bilan Carbone territorial est sectorielle : les émissions de la zone sont considérées secteur d’activité par secteur d’activité, sans se préoccuper des interdépendances entre eux. Le secteur de la mobilité est étudié, par exemple, séparément de l’impact du secteur de l’industrie (qui peut être le support d’un grand nombre d’emplois, lesquels sont localisés sur le territoire, laquelle localisation induit des mobilités sur le territoire) et de l’impact du secteur de l’agriculture et de sa logistique (idem).
- La méthode du Bilan Carbone territorial traite des données qui sont agglomérées à l’échelle communale, ce qui limite l’aide à la décision en matière de planification spatiale en ne permettant pas de modéliser les effets de l’organisation spatiale infra communale, et donc de distinguer, par exemple, un centre-ville dense à la mixité fonctionnelle très forte, de sa périphérie composée de quartiers pavillonnaires.
- La méthode du Bilan Carbone territorial ne comptabilise pas les émissions de CO2 des habitants qui ont lieu en dehors du territoire étudié. Par exemple, les émissions d’un habitant qui va travailler tous les jours dans un territoire voisin ne sont plus comptabilisées dès qu’il franchit la limite du territoire étudiée. A l’inverse, les émissions des habitants vivant en dehors mais venant travailler dans le territoire étudié sont comptabilisées. Il est dès lors difficile de comprendre si l’aménagement du territoire a un impact sur ses émissions de CO2 (« si j’habite ici, est-ce que je consomme plus, moins ou la même quantité de CO2 que mon voisin qui habite un peu plus loin ? »).
La modélisation que nous avons développée propose de changer de point de vue en passant du territoire comme base d’analyse aux individus. Ainsi, au lieu de calculer les émissions par secteur sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis, nous modélisons le fonctionnement du territoire, les pratiques de ses habitants et leurs comportements de mobilité. La méthodologie que nous avons élaborée fait partie d’une famille de méthodes initialement développées à l’université Berkley au début des années 2010 et dénommées « Consumption Based Gas Emissions » (Jones & Kammen, 2014) : elle vise à étudier les disparités territoriales des émissions de gaz à effet de serre et à simuler l’impact des décisions des acteurs dans le choix de le la localisation de leur lieu de résidence.
1.1 Une description des mobilités par paires de carreaux de 200 m x 200 m
Le territoire du SCoT La Rochelle Aunis, 76 communes, 231 000 habitants1 et 90 400 emplois en 2017, est composé de 3 EPCI :
1 Population municipale (hors population comptée à part) selon la définition de l’INSEE. lien.
- la Communauté d’Agglomération de La Rochelle (CDALR),
- 170 000 habitants,
- 76 800 emplois,
- 28 communes ;
- la Communauté de commune d’Aunis Sud,
- 31 500 habitants,
- 7 900 emplois,
- 24 communes.
- la Communauté de commune d’Aunis Atlantique,
- 29 500 habitants,
- 5 700 emplois,
- 20 communes ;
Ce territoire sera divisé en 4 sous-parties qui reposent sur les découpages retenus par les documents de planification du territoire, notamment le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal :
- LR : la ville centre de La Rochelle ;
- UUC+PA : l’unité urbaine centrale de l’agglomération sans La Rochelle (Aytré, Puilboreau, Périgny, Lagord), et les pôles d’appui de l’agglomération (Nieul-sur-Mer, Dompierre-sur-Mer, Angoulins, Châtelaillon-Plage, La Jarrie) ;
- CO : la couronne péri-urbaine de l’agglomération ;
- SCoT hors CDALR : le reste du territoire du SCoT, en dehors de l’agglomération, soit les deux EPCI d’Aunis Atlantique et Aunis Sud.
Le territoire du SCoT est ensuite découpé en carreaux habités de 200 mètres de côtés, selon la trame Filosofi de l’INSEE 2 . Tout carreau habité par au moins un habitant est analysé, ce qui représente 5 300 « carreaux résidants », soit 227 000 habitants3.
2 Base de données carroyées Filosofi de l’INSEE 2017 diffusée le 23/03/2022.
L’Insee fournit des informations socio-économiques sur près de 30 millions de ménages. Il diffuse ces informations à différentes échelles dont la plus petite est celle d’un carreau de 200 mètres de côté. La base contient 26 variables sur la structure par âge des individus, sur les caractéristiques des ménages et des logements et sur les revenus perçus au cours de l’année 2017. Cette base est utilisée dans notre étude pour localiser finement les populations et les ménages.
3 Ce qui représente plus de 98% des 231 000 habitants recensée. Cette différence s’explique par la position de certains carreaux à cheval avec un ou plusieurs communes hors périmètres.
Pour chaque « carreau résidant », le modèle cherchera à décrire les habitudes de mobilité quotidienne de ses habitants, selon 7 motifs regroupant la majeure partie des déplacements. Sont considérés, les déplacements :
- pour motif administratif ;
- pour motif sportif ;
- pour motif d’accès aux soins ;
- pour l’accès aux établissements scolaires et universitaires ;
- pour l’accès aux commerces alimentaires ;
- pour des raisons « sociales » et de loisir (famille, amis, shopping, cinéma…) ;
- pour les déplacements domicile-travail.
La base permanente des équipements et la base Filosofi de l’INSEE, ainsi que la base de données MAJIC III (Fichiers fonciers de la Direction Générale des Finances Publiques) nous permettent de localiser ou projeter, à l’échelle des carreaux 200 m x 200 m, l’ensemble des lieux de déplacements possibles au sein du territoire du SCoT et, plus largement, dans un périmètre élargi de 30km pour la base des équipements et la base Filosofi et selon la localisation des emplois déclarés dans l’enquête mobilités professionnelles des personnes de l’INSEE (MOBPRO)4, ce qui représente 6 700 « carreaux activités ».
4 Base Mobilités professionnelles en 2018 : déplacements domicile - lieu de travail de l’INSEE diffusée le 30/06/2021. Pour plus de simplicité, nous la nommerons « MOBPRO » dans la suite de l’article.
La base brute des flux de mobilité des « déplacements domicile-travail » fournit, pour l’ensemble des communes (France métropolitaine et DOM), les effectifs correspondant aux croisements du lieu de résidence avec le lieu de travail. Cette base est utilisée dans notre étude pour déterminer les flux de mobilités domicile-travail commune à commune.
L’ensemble des déplacements théoriquement possibles entre les 5 300 « carreaux résidents » et les 6 700 « carreaux activités » représentent 36 millions de paires de carreaux – c’est-à-dire de trajets distincts – représentant chacune une distance parcourue et un temps de parcours par mode de transport.
Pour évaluer la probabilité d’un trajet entre un « carreau résident » et un « carreau activité », la distance joue un rôle important. Cette évidence est ce qu’on appelle parfois le principe de Tobler :
« Tout est relié mais les choses proches sont plus reliées que les choses éloignées ».
Cependant, la distance à parcourir n’influence pas nos choix de la même manière pour aller acheter une baguette de pain que pour choisir un emploi. Deux modèles distincts ont donc été développés pour calculer la probabilité de commutation entre deux carreaux 200 m x 200 m selon le motif de déplacement :
- Un modèle gravitaire pour les motifs non-professionnels (commerce, école, soins, …) calé sur l’enquête nationale mobilité des personnes de l’INSEE (EMP 2019)5. C’est un modèle très couramment utilisé pour évaluer le rôle de la distance dans un choix.
- Un modèle radiatif pour les déplacements domicile-travail calé sur MOBPRO. La différence principale avec le modèle gravitaire est que ce n’est pas la distance qui détermine la probabilité de commutation, mais plutôt le nombre d’opportunités rencontrées en chemin.
5 Résultats détaillés de l’enquête mobilité des personnes 2019 du Ministère de la Transition Ecologique. Pour plus de simplicité, nous la nommerons « EMP 2019 » dans la suite de l’article.
L’enquête « Mobilité des personnes » réalisée en 2018 et 2019 est une source d’information pour mesurer la mobilité des Français au niveau national et la comparer au cours du temps. Son objectif est de décrire les pratiques de mobilité des personnes et d’apprécier comment et pourquoi les Français se déplacent, au quotidien ainsi que pour leurs voyages à plus longue distance. Elle permet également de connaître le parc de véhicules à disposition des ménages et l’utilisation qui en est faite, ainsi que les nouvelles pratiques de mobilité : covoiturage, utilisation des vélos en libre-service, équipement en recharge de véhicules électriques, etc.
Nous utilisons pour cette étude plus particulièrement la table « mobilité locale » : soit l’ensemble des déplacements effectués à l’occasion d’activités situées dans un rayon de 80 km à vol d’oiseau autour du domicile. Cette enquête mobilité porte sur un échantillon de 45 000 trajets de 14 000 ménages (fréquence, mode de transport, durée, km, profil de la personne, but du trajet qui peut être multiple…).
1.2 Modélisation des probabilités de commutation domicile-travail selon un modèle radiatif
1.2.1 Les limites du modèle gravitaire
En nous intéressant à la mobilité de la vie quotidienne à une échelle géographique fine – le carreau 200 mètres – nous nous sommes heurtés aux limites du modèle gravitaire. Ces limites tiennent à ce que le modèle gravitaire réduit le principe de Tobler à une mesure homogène de la distance. Il évacue ce qui fait la spécificité du spatial en voulant réduire celui-ci à une variable unidimensionnelle ; il évacue le fait que l’espace est habité et que chaque lieu est défini aussi par son voisinage.
Ainsi, le modèle gravitaire traite de la même façon les milieux urbains denses et les zones rurales. Il faudrait croire, par exemple, que la probabilité de réaliser un trajet d’une demi-heure en voiture pour se rendre à son travail est la même partout en France. Or ce n’est évidemment pas le cas : celui qui réside en milieu rural avec peu d’alternatives d’emplois, et celui qui réside dans des zones fortement urbanisées offrant de nombreuses alternatives plus proches n’envisagent pas les choses de la même manière. Plus fondamentalement, le défaut tient à ce que ce modèle ne voit pas l’espace ; il ne voit pas ce que le territoire offre ; il ne voit pas qu’en zone urbaine l’offre d’emplois est plus ramassée et que cela change la manière de traiter les distances relatives et les coûts relatifs. La conséquence de cet aveuglement est que l’offre sur le territoire est traitée comme si elle était homogène. Supposons, par exemple, que les pouvoirs publics souhaitent créer une zone industrielle offrant de nouveaux emplois. Le modèle gravitaire conduira à penser que les résidents en zone rural, parce qu’ils sont très parsemés, sont le plus souvent trop éloignés de la nouvelle zone d’emplois pour être intéressés : dans l’arbitrage entre utilité de l’emploi et coût du trajet, ce dernier devient rapidement si élevé qu’il semble préférable de renoncer à l’emploi. Or, l’arbitrage réel est loin d’être aussi simpliste car, bien entendu, un individu qui ne trouve pas d’emplois à proximité se résignera à faire plus de kilomètres pour travailler que quelqu’un qui, au contraire, vit près d’un centre économique dynamique. La distance ne pèse pas du même poids selon la quantité d’offre dans le voisinage.
Mais la critique la plus forte du modèle gravitaire vient de ses propriétés fondamentales et des conclusions que l’on peut en tirer. Le nombre de trajets entre une origine (la résidence) et une destination (l’emploi) repose sur un simple arbitrage entre distance et quantité de résidents ou d’emplois. Le comportement du modèle aux limites suscite la perplexité : un seul emploi à l’origine devrait être infiniment préféré un très grand nombre d’emplois un peu plus loin. C’est tout à fait irréaliste et l’on devine déjà que la distance ne joue pas un rôle si direct dans les comportements de mobilité. On voit également que le poids relatif de cet emploi quasi central par rapport aux “masses” d’emplois éloignés va varier de manière irréaliste selon qu’il est plus ou moins proche de l’origine.
Comme le soulignait déjà Stouffer (Stouffer, 1940), ce n’est peut-être pas tant la distance aux emplois qui est décisive que le rang de ces emplois selon l’ordre des distances. Dans le modèle gravitaire, il faut faire une grande différence entre le cas où le deuxième emploi le plus proche est à 500 m et le cas où il est à 1 km. Si l’on applique le modèle newtonien, il faudrait croire, par exemple, que l’attractivité de ce dernier emploi est divisée par 4. Qui peut croire que 500 m de différence pèsent d’un si grand poids dans une recherche d’emploi ? L’attractivité de l’emploi dépend avant tout du fait qu’il s’agit du deuxième emploi disponible près de chez soi. Empiriquement, il y a peu de doutes que le modèle gravitaire a de piètres performances : il ne parvient pas à expliquer pourquoi, lorsque la densité des emplois est faible autour d’un résident, celui-ci va envisager des trajets plus longs pour atteindre des zones denses en emplois ; c’est pourtant une observation très commune qui devrait se retrouver dans une modélisation adéquate.
Face à ces anomalies liées au modèle gravitaire, nous proposons de nous appuyer sur une autre analogie : celle de la traversée par un flux de particules d’un matériau composé de sites d’absorption hétérogènes. Si l’on cherche un emploi dans une zone riche en emplois, la chance d’être satisfait à proximité de son point de départ sera importante, comme l’est la chance d’une particule d’être rapidement absorbée lorsqu’elle est entourée de sites absorbants. A l’inverse, si les emplois sont peu denses là où on réside, la distance à parcourir sera probablement plus grande, comme une particule traversant une zone de vide. En fait, la chance d’être absorbée ne dépend pas directement de la distance au site réceptacle ; elle dépend du nombre de sites qui sont traversées avant celui-ci. Ou, disons encore, elle dépend du rang de ce site dans le classement des sites du plus proche au plus éloigné. Cette analogie se trouve déjà chez Stouffer (Stouffer, 1940) et Simini (Simini et al., 2012). Toutefois, les modèles qu’ils ont développés peuvent encore être améliorés, notamment en modélisant le fait que les sites d’absorption peuvent avoir une capacité limitée. Nous proposons donc un modèle qui tient compte de l’absorption et de la saturation. Il est de nature stochastique et, par un raisonnement de physique statistique, nous pouvons conjecturer une stationnarité des principales prédictions. Nous l’avons appelé Modèle Ergodique à Absorption et Saturation, qui s’abrège en MEAPS.
1.2.2 Application du modèle radiatif sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis
Pour les déplacements domicile-travail, une aire d’influence large est considérée, dans un rayon de 33 km à vol d’oiseau autour du périmètre du SCoT pour intégrer les communes où certains habitants vont travailler. Ces communes sont connues grâce aux déclarations de l’enquête MOBPRO. Elle inclue notamment Angoulême, Poitiers et Niort, qui sont accessible assez aisément en train depuis le SCoT.
La spatialisation fine de la localisation des emplois est obtenue à partir des données des flux commune à commune de MOBPRO qui nous permettent de lister les emplois à la commune puis de les ventiler sur les parcelles déclarées comme lieux d’activité dans la base MAJIC III 20196: les emplois sont alloués proportionnellement à la surface des locaux professionnels, répartis selon les 5 grandes catégories NAF (agriculture commerce, industrie, BTP, service) et les données sont ensuite agrégées au carreau.
6 Base MAJIC III 2019 de la DGFIP Base des fichiers fonciers de la Direction Générale des Finances Publiques.
Elle permet une localisation à l’unité foncière, à la parcelle, au bâtiment des données fiscales liées aux propriétaires des biens. Elle permet aux acteurs publics de réaliser facilement des analyses fines et comparables sur leur territoire. Les Fichiers fonciers décrivent de manière détaillée le foncier, les locaux ainsi que les différents droits de propriété qui leur sont liés. Ils sont aujourd’hui devenus essentiels dans de nombreux domaines tels que l’occupation du sol, l’aménagement, le logement, le risque et l’énergie. Cette base est utilisée dans notre étude pour localiser à la parcelle les logements neufs produits sur les périodes étudiées, ainsi que pour déterminer le nombre d’emplois par carreaux.
La carte ci-dessous présente à gauche les 17 800 « carreaux emplois » rassemblant les 150 000 emplois accessibles aux résidents du SCoT, et à droite les 5 300 « carreaux résidents ».
Chacun des 5 300 « carreaux résidents » offre la possibilité d’aller travailler dans 17 800 « carreaux emplois », ce qui représente 94 millions de paires de carreaux à considérer, réduites à 11 millions en excluant les paires très distantes et pour lesquelles MOBPRO ne donne pas de déplacements professionnels.
Reste à déterminer le temps de trajet et la distance pour chacune des paires et chacun des modes de transport suivants : transports en commun (bus ou train), voiture, vélo et marche. Pour ce faire, on procède par routage (r5 et dodgr7) en s’appuyant sur les données de réseau open source (OSM et GTFS8).
7 Packages de routage en ‘R’ : r5 et dodgr
Le Package r5r permet par routage de déterminer les temps de parcours sur un réseau de transport (à pied, en vélo, en transports en commun et en voiture). Ce package est développé en open source par l’entreprise qui propose un service en ligne de plateforme d’analyse d’accessibilité en transports. Le Package dodgr, développé par Mark Padgham, permet le calcul de distance sur un graphe orienté.
Ces packages sont utilisés dans notre étude pour calculer les temps et distance de parcours de carreaux résidents à carreaux cible (pour le motif étudié).
8 Données de réseau open source OSM et GTFS
OpenStreetMap (OSM) est un projet collaboratif de cartographie en ligne qui vise à constituer une base de données géographiques libre du monde (permettant par exemple de créer des cartes sous licence libre), en utilisant le système GPS et d’autres données libres. Il est mis en route en juillet 2004 par Steve Coast à l’University College de Londres.
General Transit Feed Specification (GTFS, traduction littérale : spécification générale pour les flux relatifs aux transports en commun) est un format informatique standardisé pour communiquer des horaires de transports en commun et les informations géographiques associées (topographie d’un réseau : emplacement des arrêts, tracé des lignes). Ces données de réseau sont utilisées comme base de routage pour calculer les distances et temps de parcours entre carreaux.
Selon un modèle radiatif (Timbeau & Parodi, 2023), chaque habitant classe tous les emplois accessibles par ordre d’accessibilité, puis il les visite dans cet ordre jusqu’à en trouver un qui lui convienne. Si cet emploi est déjà occupé par quelqu’un, il passe au suivant dans sa liste. Chaque habitant a ainsi une liste de préférence spécifique. Cette méthode est hyperstatique, elle comporte un très grand nombre de solutions, on s’assure donc qu’elle respecte plusieurs contraintes : chaque emploi peut être pourvu une fois et une seule, et les flux agrégés à l’échelle des communes sont calés sur MOBPRO afin de s’assurer de l’adéquation des résultats du modèle avec la réalité empirique.
1.3 Modélisation des probabilités de commutation des autres mobilités selon un modèle gravitaire
Pour localiser les lieux des déplacements autres que la mobilité domicile-travail, nous avons fait le choix, en première approche, de conserver un modèle gravitaire car la distance est un critère qui pèse beaucoup plus dans ce cas-là. Par exemple, si un premier supermarché est situé à 2km plutôt qu’un autre à 10km, il sera probablement beaucoup plus attractif, de même qu’une boulangerie à 300 m est beaucoup plus attractive que celle à 5 km.
La base permanente des équipements de l’INSEE9 répertorie un large éventail d’équipements et de services à l’adresse. La grande majorité des équipements du SCoT et ceux se trouvant à moins de 30 kilomètres des limites de celui-ci se sont vu allouer un « carreau activité ». La mobilité scolaire a fait l’objet d’une enquête de l’INSEE permettant d’obtenir des données empiriques communales, qui a été mobilisée pour déterminer les probabilités de parcours pour chaque couple de carreaux résidents – établissement scolaire ou universitaire.
9 Base permanente des équipements de l’INSEE 2017 diffusée le 26/09/2018
La base permanente des équipements (BPE) est une base à vocation statistique. Elle répertorie un large éventail d’équipements et de services, marchands ou non, accessibles au public sur l’ensemble de la France au 1ᵉʳ janvier de chaque année. En 2021, elle porte sur 188 types de services et équipements différents, répartis en sept grands domaines : services aux particuliers, commerces, enseignement, santé-social, transports-déplacements, sports-loisirs-culture et tourisme. La BPE est construite à partir de sources administratives diverses. Elle rassemble des données sur des points d’accès aux services destinés à la population, ou << équipements >>, localisés à des niveaux géographiques fins : communes, territoires infra-communaux (Iris) et coordonnées (x,y) pour la plupart des types d’équipement. Cette base est utilisée dans notre étude pour localiser à l’adresse les équipements du territoire.
10 Modèle probabiliste gravitaire
La modélisation gravitaire est un type de modélisation spatiale permet de déterminer l’intensité d’une relation entre unités géographiques en tenant compte de leur potentiel (poids démographique, PIB, par exemple) et de leur distance. Plus généralement, elle permet d’évaluer les interactions spatiales, les phénomènes d’attractivité, de diffusion. Le modèle a été formulé par analogie avec la loi de la gravitation universelle de Newton : deux corps s’attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse de la distance qui les sépare. Il est utilisé dans l’estimation des interactions spatiales principalement par les masses des objets étudiés et la distance qui les sépare. Il est utilisé dans la modélisation de la géographie des flux et des interactions spatiales. Nous employons le modèle gravitaire pour déterminer la probabilité de commutation entre un carreau 1 et un carreau 2 pour un motif donné auquel on associe une mesure de poids (surface pour les supermarchés, identité pour les parcs…) selon la formule suivante : Ajustement du paramètre alpha :
Le paramètre alpha est calculé par dichotomie en calant les données agrégées sur les distances moyennes parcourues pour chaque motif dans la table « enquête mobilité des personnes 2019 » (EMP 2019) du Ministère de la Transition Ecologique (décrite plus-haut).
Pour quantifier la probabilité qu’un habitant résident dans un carreau i se déplace dans un carreau j, nous nous sommes appuyés sur un modèle probabiliste dit gravitaire10 qui traduit :
la baisse d’intérêt qu’à un usager d’effectuer un trajet avec l’allongement de la distance.
la hausse d’intérêt qu’à un usager d’effectuer un trajet selon le « poids relatif » (l’attractivité) de la destination. En première approche, pour un même type de motif, les différentes destinations possibles ont été considérées comme équivalentes. Seules les distances ont donc été prises en compte dans le calcul des probabilités de chaque déplacement. Ce modèle mathématique est ensuite calé en deux étapes sur les données statistiques de l’EMP 2019 :
Etape 1 : pour chaque motif, la part des trajets inférieurs à une valeur seuil de 7 kilomètres est calée sur la même valeur que celle donnée par l’EMP 2019 pour les ménages vivant hors d’Ile-de-France. Cela permet de contrôler la distribution des kilomètres parcourus
Etape 2 (qui intervient après le calcul des parts modales, voir paragraphe suivant) : la moyenne du nombre de kilomètres parcouru en voiture par habitant est calée sur la moyenne donnée par l’EMP 2019 dans les agglomérations de 200 000 à 700 000 habitants, selon la densité de la commune dans laquelle se trouve le carreau11. Cela permet de contrôler la quantité totale de kilomètres parcourus. Seuls les trajets pour motif scolaires ne sont pas calés sur cette moyenne, car nous en avons une connaissance suffisamment précise grâce à l’enquête mobilité domicile-lieu d’études qui donne le nombre d’individu résidant dans une commune et étudiant dans une autre.
11 4 niveaux de densité donnés par l’INSEE. lien
La quantité de kilomètres parcourus ainsi que la distribution des trajets hors emploi (la part des petits, moyens et longs trajets) étant contrôlée fortement en sortie par les données nationales de l’EMP 2019, on peut s’interroger sur l’utilité d’une modélisation locale de ces trajets. C’est que son intérêt repose en réalité non pas sur une estimation de la somme des kilomètres parcourus mais plutôt sur leur ventilation spatiale, carreau par carreau, au sein du territoire. En effet, les données dont nous disposons pour évaluer les trajets autres que domicile-travail ne nous paraissent pas suffisamment complètes pour se détacher des moyennes nationales observées.
1.4 Détermination des parts modales selon un modèle de choix discret à la McFadden
Une fois la probabilité de chaque déplacement connu, nous déterminons ensuite la probabilité que ce déplacement soit réalisé à pied, en vélo, en transport en commun ou en voiture. Pour ce faire, un algorithme supervisé de classification (régression logistique multinomiale12) a été entrainé sur les données de l’EMP 2019. Elle permet de déterminer la probabilité qu’un trajet donné soit effectué selon un des 4 modes, avec en entrée la distance, les temps de trajet par mode, la densité de la commune de résidence et le motif du trajet.
12 Régression logistique multinomiale :
En statistique, la régression logistique multinomiale est une méthode de classification qui généralise la régression logistique aux problèmes multi-classes, avec plus de deux résultats discrets possibles. En d’autres termes, il s’agit d’un modèle utilisé pour prédire les probabilités des différents résultats possibles d’une variable dépendante distribuée de manière catégorielle, compte tenu d’un ensemble de variables indépendantes (qui peuvent être à valeur réelle, binaire, catégorielle, etc.).
Dans l’étude présente la régression est fittée sur l’EMP 2019 et retourne dans 2 cas (si le carreau est en zone urbaine ou rurale) la probabilité pour un motif donné de prendre un mode de transport donné.
Les graphiques ci-dessous montrent dans les deux cas les probabilités de prendre un mode de transport en fonction de la distance :
Pour chacun des trajets du territoire du SCoT La Rochelle Aunis, l’algorithme estime la probabilité qu’il soit réalisé selon chaque mode.
1.5 Calcul des distances moyennes parcourues par motif et par mode pour chaque carreau
Pour chaque couple de carreaux résident – activité, et chaque motif de déplacement, on obtient :
- la probabilité qu’un habitant du carreau résident \(i\) effectue le trajet \(i→j\) vers \(j\) pour réaliser le motif \(M : p_{M}(i→j)\) ;
- la probabilité de choix du mode \(m\) pour le trajet \(i→j\) et motif \(M : p_{M,i→j}(m)\) ;
- la distance de parcours entre \(i\) et \(j\) pour le mode \(m : d_{m} (i→j)\) ;
- la temps de parcours entre \(i\) et \(j\) pour le mode \(m : t_{m}(i→j)\).
Par combinaison et somme de ces valeurs, on obtient pour un carreau \(i\) résidant, donnant accès pour ce motif à \(N\) destinations, la distance moyenne nécessaire par mode \(m\) pour le motif \(M\) :
\[ \sum_{i=0}^N p_{m}(i→j)* p_{M,i→j}(m)*d_{m}(i→j) \]
Et, en notant \(e(m)\) le facteur d’émissions kilométrique du mode \(m\)13, on obtient les émissions moyennes \(E_{i}(M)\) pour le motif \(M\) du carreau \(i\) avec cette formule :
13 Facteur d’émissions kilométrique par mode :
Toutes les données sur les émissions proviennent de la base carbone de l’ADEME. Nous avons retenu un facteur d’émission de 218 gCO²eq/km pour la voiture qui inclut les émissions de sa construction.
Aux vues de la part modale et du nombre de kilomètres parcourus pour les autres modes de transports, leurs émissions sont négligées devant celles de la voiture.
\[E_{i}(M)= \sum_{m=1}^4 e(m) * 2 * \sum_{i=0}^N p_{m}(i→j)* p_{M,i→j}(m)*d_{m}(i→j) \]
Il reste à multiplier cette valeur ci-dessus par la fréquence14 selon laquelle ce déplacement pour ce motif est réalisé.
14 Fréquence à laquelle un motif est réalisé :
Les fréquences de commutation par motif sont calculées sur la base de l’enquête mobilité des personnes comme suit : le nombre de trajet domicile travail est calculé en premier on compte dans cette fréquence chaque aller-retour effectués, pour les autres motifs on ne compte pas les interdépendances entre les motifs : on ne retient que les motifs principaux. Cette façon de calculer revient à supposer d’ordre 2 l’effet des boucles (un trajet contenant plus d’un motif).
1.6 Résumé de la méthodologie, analyse de ses limites
En résumé, notre modélisation repose sur :
- La localisation fine des résidents (carroyage INSEE, 200 m, INSPIRE).
- La localisation des emplois (MOBRO recensement INSEE à la commune, MAJIC infra communal, par NAF).
- La localisation des aménités à partir de la base équipement.
- Le calcul des distances et des temps de parcours entre chaque paire (à partir des données OSM, GTFS et hors congestion).
- 2 modèles comportementaux de choix de destination : l’un radiatif, pour la mobilité domicile – travail, l’autre gravitaire, pour les autres motifs.
- Un modèle de nombre de trajets et de choix modaux à partir de l’enquête nationale mobilité des personnes (EMP 2019) et, pour les déplacements professionnels, du fichier détail « mobilités professionnelles » du recensement INSEE (MOBPRO).
Cette modélisation présente des limites qu’il est important de souligner, et qui sont les pistes actuellement explorées pour les développements futurs de ces méthodes :
- Le modèle ne prend pas en compte la congestion du réseau routier dans le calcul des temps de trajet et des émissions. La Rochelle étant une commune assez peu sujette aux embouteillages, pourrait n’avoir qu’un impact relativement faible sur nos résultats.
- La méthode prend en compte l’optimisation effectuée naturellement par les ménages qui cumulent plusieurs destinations sur un même trajet (emmener les enfants à l’école puis se rendre sur son lieu de travail, faire ses courses alimentaires en rentrant chez soi le soir, etc.) grâce aux données de l’enquête mobilité des personnes, mais cette dernière attribue au motif principal du trajet l’ensemble des km parcourus pour l’ensemble des motifs, ce qui a tendance à surestimer les chiffres de la mobilité domicile-travail au détriment des autres.
- La méthode de « régression logistique » utilisée pour déterminer les probabilités de choix modal ne prend pas en compte le niveau de revenu et la sociologie des ménages, ni leur équipement automobile ; or ces revenus et cette sociologie n’ont pas une répartition géographique homogène sur le territoire, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les conclusions spatiales de l’étude.
- Les emplois sont distingués selon les 5 grandes catégories NAF, mais nous disposons seulement du code NAF du propriétaire des locaux, et non de celui du locataire. C’est un point qu’il faudra résoudre à l’avenir afin d’améliorer la précision du modèle. Par ailleurs, le calcul, pour chaque habitant adulte, de la probabilité de se rendre à un travail localisé dans un carreau donné, ne prend pas en compte, à ce stade, la catégorie de l’emploi en lien avec le profil de l’habitant.
- Pour les déplacements hors mobilité domicile – travail, la méthode développée ne peut pas être calée sur des données empiriques locales : si ces calculs ont un intérêt pour comparer les émissions relatives des différentes parties du territoire du SCoT, la méthode « bottom-up » appliquée ici ne permet pas de déterminer avec précision les valeurs agrégées de l’ensemble des déplacements du territoire pour chaque motif, excepté pour les mobilités d’accès aux établissements scolaires et universitaires.
2 Résultats : un habitant du centre de La Rochelle émet 0,9 teqCO2/an pour ses mobilités du quotidien, un habitant d’Yves 2,3 teqCO2/an, et un habitant de Genouillé 3,7 teqCO2/an.
2.1 Des émissions moyennes de 1,56 teqCO2/an/habitant
Les émissions moyennes semblent cohérentes avec les résultats de plusieurs études locales et nationales de référence :
- Le « Bilan Carbone® Territoire » de la CDALR15 réalisé en 2019 selon la méthodologie proposée par l’ADEME annonce une moyenne de 1,65 teqCO2/an/habitant pour les déplacements des personnes hors avion et maritime (dont l’usage pour les trajets du quotidien est marginal ou nul). S’agissant d’un bilan territorial, les trajets quotidiens des habitants hors de la CDALR ne sont pas pris en compte. Nous pouvons cependant considérer en première approche que cette part est négligeable, l’agglomération étant bien dotée en emplois et service, les besoins des mobilités quotidiennes en dehors du territoire sont faibles. Par ailleurs, le territoire n’est pas non plus traversé par des axes de transit importants (pas d’autoroutes) qui ajouterait des émissions CO2 indépendantes des habitants. Nous considérons donc que cette méthode de comptabilisation est comparable à celui de la présente étude.
- L’empreinte carbone moyenne en France publiée par Carbone 4 et mise à jour en 2023 annonce une moyenne de 2,1 teqCO2/an/habitant pour les déplacements en voiture. Mais cela inclut aussi bien les trajets de courte distance du quotidien que les trajets longue distance. Selon le rapport multimodal de l’autorité des régulations de transports qui dressait l’état des lieux des mobilités courte et longues distances en France en 202216, la part des trajets de courte distance (moins de 80 km) représente 74% des kilomètres parcourus en voiture sur le territoire français. En appliquant cette proportion au chiffre annoncé par Carbone 4, nous pouvons estimer que la part des trajets quotidiens en voiture représente 1,55 teqCO2/an/habitant.
- L’EMP 2019 nous indique les kilomètres parcourus en voiture pour les trajets du quotidien par les français dans les agglomérations de 200 000 à 700 000 habitants (le SCoT compte 231 000 habitants). On peut extrapoler à partir de ces informations des teqCO2/an/habitant avec un facteur d’émission (218 grCO2/km) : nous obtenons ainsi des émissions moyennes par habitant pour les mobilités du quotidien en voiture de 1,61 teqCO2/an/habitant.
15 La note méthodologique du Bilan peut être consultée à cette adresse : lien.
16 Le rapport multimodal de l’autorité de régulation des transports peut être consulté à cette adresse : lien. Les chiffres présentés s’appuient notamment sur l’EMP 2019.
Etude de référence | Territoire | Année | Emissions de GES |
---|---|---|---|
Bilan Carbone® territorial | CDALR | 2019 | 1,65 teqCO2 |
Empreinte Carbone - Carbone 417 | France | 2023 | 1,55 teqCO2 |
EMP 201918 | Agglo. 200-700 k | 2019 | 1,61 teqCO2 |
Etude vv.energy / OFCE | SCoT la Rochelle Aunis | 2023 | 1,56 teqCO2 |
17 Une extrapolation a été réalisée à partir des trajets réalisés en voiture pour en extraire la part liée aux déplacements du quotidien.
18 Une extrapolation a été réalisée à partir des kilomètres parcourus pour les convertir en émissions de CO2.
L’étude que nous menons étant en partie calée sur la moyenne des distances parcourues constatées dans l’EMP 2019 (pour les motifs de déplacements administratif, sportif, d’accès aux soins, commerces alimentaires, raisons « sociales » et loisir pour lesquels nous ne disposons pas de suffisamment de données locales), il est normal d’obtenir des émissions moyennes proches. Cependant, il est à noter que les émissions des trajets domicile-travail et scolaires, qui représentent 53% des kilomètres parcourus, ne sont pas calées sur l’EMP 2019 et auraient pu conduire à des résultats agrégés tous à fait différents comptes tenus de leurs poids. La méthode « bottom-up » développée ici pour l’emploi et le scolaire (agrégation de millions de trajets individuels) permet de reproduire les résultats observés à l’échelle nationale.
2.2 Des variabilités géographiques importantes allant de 1 à plus de 4
L’étude spatialisée au carreau 200 mx200 m de la distribution des émissions de gaz à effet de serre dues aux mobilités quotidiennes des habitants du SCoT met en exergue des contrastes très marquées entre les différentes parties du territoire.
Les émissions moyennes des habitants de La Rochelle ne sont que de 0,9 teqCO2/an/habitant pour leurs mobilités quotidiennes, contre 2,3 teqCO2/an/habitant à Yves, une commune côtière de la seconde couronne de l’agglomération de La Rochelle, et 3,7 teqCO2/an/habitant à Genouillé, une commune à l’extrême Sud-Est de la Communauté de Communes de Aunis Sud, située à environ 40 min en voiture de La Rochelle.
Commune de résidence | Émissions annuelles de GES par habitant | kilomètres parcourus en voiture par an |
---|---|---|
La Rochelle | 0,9 teqCO2/an | 3 900 km |
Yves | 2,3 teqCO2/an | 10 500 km |
Genouillé | 3,7 teqCO2/an | 16 900 km |
Un total de 207 000 teqCO2 sont émises tous les ans par les habitants de l’agglomération Rochelaise pour leurs mobilités quotidiennes (ce total est de 361 000 teqCO2 à l’échelle globale du SCoT).
2.3 Un habitant de La Rochelle parcourt 3 900 km/an en voiture, 10 500 km/an à Yves et 16 900 km/an à Genouillé
La moyenne des kilomètres parcourus par les habitants de l’ensemble du SCoT est de 7 200 km/an, celle des habitants de l’agglomération de La Rochelle de 5 600km/an. Les résultats agrégés par commune donnent à voir la forte variabilité des kilomètres parcourus en voiture selon l’éloignement du cœur de l’agglomération, de 3 900km/an à La Rochelle à 16 900km/an à Cramchaban. Elle tend à confirmer l’intuition d’un plus faible recours à la voiture, et pour de plus faibles distances, dans les secteurs centraux qu’en périphérie.
Mais l’enseignement principal qui ressort de notre travail de modélisation est que, en l’état actuel du territoire (localisation des activités, des logements et niveaux de service rendu par les infrastructures de mobilité actuelles) les lieux dans lesquels les habitants ont la possibilité de parcourir moins de 7 200 km/an sont très limités. Ils représentent 27% de la surface des espaces bâtis et sont concentrés à La Rochelle et ses communes limitrophes, ainsi que dans quelques cœurs urbains de communes pôles bien équipées et/ou desservies : Aigrefeuille-d’Aunis, Angoulins, Bourgneuf, Châtelaillon-Plage, Esnandes, La Jarrie, Marsilly, Marans, et Salles-sur-Mer.
En dehors de l’agglomération, seules 9 communes sur 44 permettent à leurs habitants de parcourir une distance moyenne inférieure à 10 000km/an : Andilly, Ciré-d’Aunis, Charron, Forges, Landrais, Le Thou, Marans et Villedoux. Certaines jouissent d’un moindre éloignement de l’agglomération, ou d’un accès direct à la RD 939, d’autres présentent une masse de population suffisante pour permettre l’implantation locale de services essentiels, d’autres sont des pôles d’emplois structurés.
2.4 La mobilité domicile–travail représente 36% des km parcourus par les habitants du SCoT, les courses alimentaires 16%
Au total, 1,6 milliards de kilomètres sont parcourus chaque année pour les mobilités quotidiennes par les habitants du SCoT. Leur décomposition par motif montre la prédominance des trajets domicile–travail, qui représentent 35% des km parcourus (étant entendu que ces km incluent les « bouclettes » effectuées de manière annexe pour emmener ses enfants à l’école sur le chemin du travail, faire ses courses alimentaires en rentrant chez soi, etc. ce qui tend à donner plus de poids à la mobilité domicile–travail).
Motif | Kilomètres parcourus (en millions) |
Part de la distance dans le total |
---|---|---|
Trajet domicile-travail | 581 Mkm | 36% |
Commerces | 263 Mkm | 16% |
Etudier | 282 Mkm | 17% |
Autres (Loisirs, soins, …) | 504 Mkm | 31% |
La part des km parcourus pour la mobilité domicile–travail obtenue (36%) est proche des valeurs communiquées dans le cadre d’études nationales menées par le Forum Vies Mobiles (40%) (Marc Pearce, 2020) et de l’EMP 2019 dans les agglomérations de 200 000 à 700 000 habitants (40%). La part plus faible que nous observons s’explique en partie par une part des actifs ayant un emploi plus faible dans le SCoT (38%) qu’à l’échelle nationale (40%).
3 Discussion : quels liens entre densité et émissions de CO2 liées aux mobilités du quotidien sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis ?
Le travail réalisé montre que la densité a au moins un impact local sur les émissions de CO2 liées aux déplacements du quotidien : les habitants de La Rochelle n’émettent que de 17% de ces émissions, alors qu’ils représentent 33% de la population du SCoT et 7% des carreaux 200 m x 200 m habités.
Au vu de la dispersion géographique des émissions, quel lien peut-on établir entre densité bâtie et émissions de CO² liées à la mobilité quotidienne ?
3.1 La Rochelle, seul espace du territoire d’ores-et-déjà compatible avec les objectifs de 2030
Le premier constat est celui de sobriété des mobilités des habitants de La Rochelle. Selon notre modèle, 75% des carreaux 200 m x 200 m à La Rochelle sont le support d’émissions moyennes de moins de 1,1 teqCO2/an/habitant, c’est-à-dire la valeur intermédiaire visée à l’échelle nationale autour de 2030, sur le chemin de la neutralité carbone visée en 2050. A l’opposé, dans le SCoT hors agglomération, moins de 1% des carreaux 200 m x 200 m sont le support d’émissions moyennes de moins de 1,1 teqCO2/an/habitant.
Ces grandeurs sont des moyennes, par carreaux, de comportements d’habitants du territoire : si elles sont susceptibles d’être dépassées ou surestimées pour des individus particuliers, elles donnent une bonne idée de l’importance structurelle de la densité d’une ville comme La Rochelle sur les déplacements quotidiens de ses habitants.
Le graphique ci-dessous représente cet effet. On y voit également que 35% de la population du SCoT vit déjà dans un carreau 200 m x 200 m compatible avec des émissions moyennes inférieures à 1,1 teqCO2/an/habitant.
3.2 Sur le territoire du SCoT La Rochelle Aunis, à l’échelle communale, plus le tissu urbain est dense en habitants, moins ces derniers émettent de CO2 pour leurs mobilités quotidiennes
Le graphique ci-dessous représente les émissions moyennes par habitant en fonction de la densité moyenne des communes de résidence : il montre une corrélation forte entre la densité en habitants d’une commune et la possibilité de faibles émissions de gaz à effet de serre.
Alors que certaines études attirent l’attention sur un effet d’agglomération contre-productif au-delà d’une certaine taille (Fragkias et al., 2013), la modélisation réalisée sur le territoire du SCoT montre que la densité est très nettement corrélée à de faibles émissions (i) dans une aire urbaine française monocentrique d’un peu moins de 300 000 habitants et (ii) lorsque l’analyse est conduite à l’échelle communale.
Localement, La Rochelle se détache clairement du lot, et est suivie par les communes denses de première couronne.
3.3 Vers une meilleure répartition spatiale des densités ?
Alors que les parties du territoire dont les habitants émettent en moyenne moins de 0,8 teqCO2/an/habitant sont denses (25 logements/Ha en moyenne19), les secteurs dans lesquels les émissions sont comprises entre 0,8 teqCO2/an/habitant et 1,6 teqCO2/an/habitant couvrent les communes de première couronne, certaines communes de seconde couronne ainsi que quelques centralités du littoral et le centre de Marans, Aigrefeuille-d’Aunis et La Jarrie.
19 Densités brutes :
Nombre de logement par carreaux habités 200 m x 200 m divisé par la surface artificialisée du carreau selon l’OCS 2020. Cette mesure de la densité intègre donc la surface des voiries, infrastructures, équipements, … situés dans les carreaux habités.
Ces secteurs sont composés en grande majorité de maisons de ville en lot libre et de tissus pavillonnaires dont la densité est relativement faible (12 logements/Ha en moyenne). Cette faible densité dans des secteurs centraux du territoire laisse présager des marges de manœuvre assez grandes pour conduire une politique densification et d’accueillir des populations dans des lieux aujourd’hui modérément émetteurs et qui pourraient, en gagnant en densité, émettre moins demain.
Augmenter la densité de ces secteurs à 25 logements/Ha permettrait d’accueillir 50 000 logements supplémentaires, soit l’équivalent de l’ensemble des ménages habitant au-delà de la limite à partir de laquelle les émissions sont supérieures à 1,6 teqCO2/an/habitant.
Réutilisation
Citation
@online{lempérière2023,
author = {Lempérière, Paul and Miet, David and Parodi, Maxime and
Pouvreau, Lucas and Stulhfauth, Valentin and Timbeau, Xavier},
title = {SCoT La Rochelle Aunis : les émissions moyennes des habitants
du territoire pour leurs mobilités quotidiennes},
date = {2023-04-11},
url = {https://publications.vv.energy/la-rochelle-aunis-carbone.html},
note = {pre-print},
langid = {fr}
}